12. Confinement

Fin du récit

Dessin sur le braquage subi.
Braquage

Depuis le confinement, j’ai arrêté de relater les étapes suite au braquage. Je me disais que ce serait un peu indécent de continuer en cette période d’épidémie qui tue. Et puis je voulais me concentrer sur la connexion de mon moi intérieur, me faire plaisir en dessinant, en laissant faire et c’est une sacré thérapie je trouve. Je me sens merveilleusement à ma place en faisant cela. Je ne me ‘triture’ pas, je laisse faire.
Ceci dit, régulièrement, j’étais en visio conférence avec mon psychiatre pour des traumas qui sont remontés et que j’évacue grâce à l’Emdr.
Puis autre chose est apparue. Il me semble que c’était un peu là avant le confinement mais je ne sais même plus à vrai dire. J’ai une gêne récurrente à la gorge, le besoin de déglutir souvent et plus je le fais, plus je sens que j’ai du mal à le faire. Un soir, j’ai crû mourir
Depuis, cela survient assez souvent mais j’arrive à me raisonner et puis je fais de l’Eft, une technique de tapping qui me semble complémentaire à l’Emdr. Je sens qu’il y a quelque chose que je ne digère pas ou que je n’arrive pas à exprimer…
Cet article clôture l’écriture sur le braquage…

11. EMDR

Pensées en boucle

Un dessin pour le braquage subi.
Braquage

Il s’agit d’une technique permettant de resynchroniser les deux hémisphères cérébraux et de faire descendre l’émotion dans le corps afin de ‘désenkyster’ le trauma bloqué dans le cerveau et qui induit des pensées en boucle ainsi que des cauchemars.
C’est ce qui se produisait dans mon cas.
Voici comment se déroulait une séance :
Le psychiatre prenait des notes sur ce que je lui avais raconté et me demandait de noter l’événement via une échelle de 1 à 10. Il s’asseyait à côté de moi, en face à face un peu décalé puis il tapotait alternativement mes genoux pendant que je relatais les faits du braquage. Lorsque l’émotion me submergeait, il faisait un va-et-vient avec son doigt, devant moi, que je suivais des yeux. Puis je respirais profondément et je donnais mes impressions.
Je renotais l’évènement afin de vérifier ce qu’il restait de la charge émotionnelle. Peu à peu, ‘la bombe était désamorcée’, du moins pouvais-je revoir les scènes avec un relatif apaisement. Bien évidemment, le souvenir est là mais l’impact émotionnel est moins prégnant.
Il a fallu quelques séances pour arriver à ce résultat. De temps en temps, il m’arrive encore d’avoir les larmes aux yeux en racontant, très succinctement, mais ‘le kyste’ me semble dissous.
Nous avons principalement travaillé sur trois scènes qui bouclaient :
Le ‘c’est un braquage’ que j’ai entendu en levant la tête, avec la vision d’une masse noire et d’un flingue qui prenait toute la place,
Le ‘relève-toi ou je te bute’ lorsque j’ai fait tomber des pièces par terre,
Puis lorsqu’il nous a fait descendre à la réserve et que j’ai cru qu’il allait nous tuer.
Je trouve que cette technique est très efficace, elle n’efface pas les souvenirs de l’évènement mais elle désamorce l’impact de la charge émotionnelle. J’ai vu une différence entre l’avant et l’après.

10. Psychologue employeur

Retourner sur le lieu

Dessin du braquage subi.
Braquage

Il me fallait revenir dans le magasin le vendredi 05 avril 2019 car j’étais convoquée en fin de matinée pour rencontrer le psychologue de la société. Rien que d’y penser me mettait mal.
J’ai pris le métro, comme je le faisais depuis des mois et des mois… mais rien n’était plus pareil. C’était deux jours après le braquage. J’avais le cerveau en boucle.
Lorsque je suis arrivée à la station de destination, je me sentais tel un petit robot. Plus j’approchais du magasin, plus je sentais l’angoisse, la panique, le malaise. Je ne voulais pas pleurer. J’étais attendue en bas, dans le bureau où nous nous étions réfugiés… je revois encore l’escalier et mon cœur comprimé dans un étau… je me retenais de pleurer.
C’était pénible car j’étais à nouveau plongée dans ce mardi 02 avril. Ma responsable était présente et devait aussi revivre l’épreuve…
Je ne pourrais plus retranscrire avec exactitude ce moment, en revanche je me souviens très bien avoir éclaté en sanglots et avoir dit que j’avais cru qu’on allait mourir et que je ne voulais plus jamais vivre ça…
C’est la première et dernière fois que j’ai vu cette psychologue.
Lorsque je suis repartie, je me sentais flotter, je marchais, plus exactement mes pieds avançaient l’un après l’autre. Après je ne sais plus.
Black-out sur le reste de la journée si ce n’est que j’ai appelé le numéro de soutien psychologique. Pour parler et être écoutée.

9. Médecin traitant

Le processus

Dessin du braquage subi.
Braquage

Le 04 avril, j’eus donc rendez-vous chez mon médecin traitant. Ce fut éprouvant, physiquement et psychiquement mais nécessaire pour le processus de l’accident de travail.
Depuis le mardi soir, je tournais en boucle sur mon ordinateur, à la recherche des divers braquages commis et les témoignages de victimes puis, de fil en aiguille, j’ai entendu parler de l’EMDR – technique de désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires – alors, au cours de la consultation, j’en ai parlé au médecin qui m’a confirmé son efficacité et m’a donné les coordonnées de thérapeutes l’utilisant.
D’après ce que j’avais lu et vu, lorsqu’il y a trauma, celui-ci est enkysté dans le cerveau et fait tourner en boucle, exactement ce que j’étais en train de vivre via les cauchemars et les flashs de scènes.
Je n’avais pas le courage, ce jour-là, de me confronter à la liste fournie par le médecin. Je retournais encore une fois, une de plus, vers les braquages que je trouvais sur internet… oui, je me rends bien compte, maintenant, de l’absurdité et du paradoxe peut-être, de cette démarche morbide de pouvoir lire sur ce qui me causait de la souffrance au lieu de me retourner vers le remède…

8. Déposition

Commissariat

Un dessin pour le braquage subi.
Braquage

Le 03 avril 2019, rendez-vous à 10h00 au commissariat pour porter plainte.
Ma responsable et moi, nous retrouvons dans la salle d’attente. J’étais mal à l’aise. Je revoyais les scènes. J’avais envie de pleurer.
L’attente fut un peu longue, 40 minutes. Je voulais que ça aille vite et rentrer chez moi. À l’abri. Dans ma bulle.
Malgré la gentillesse de mon interlocutrice, nous avons fait une pause de quelques minutes… les pleurs bien évidemment…
Il m’a fallu raconter le déroulement du braquage.
Décrire l’arme.
Décrire l’individu.
Puis on m’a dit que je serais prévenue s’il était arrêté.
Une fois sortie, ma responsable et moi avons confronté nos dires. Il y avait des différences. Notre cerveau et nos émotions n’avaient pas les mêmes souvenirs…
Je n’avais pas pu avoir de rendez-vous avec mon médecin ce jour-là mais il était prévu le lendemain.
Je ne pourrais pas donner de détails quant à cette journée de mercredi 03 avril mais j’étais en boucle…

7. Police et sécurité

La vidéo

Un dessin pour le braquage subi.
Braquage

Sur la vidéo, nous avons vu le braqueur qui faisait les cent pas devant le magasin, nous, à nos caisses respectives. De notre place, nous tournions le dos à la rue. Je fixais les images, je voyais que j’étais sur les images mais c’est lui qui m’obsédait. Puis j’ai vu à un moment que je levais les bras. Il n’y avait pas de son. Plusieurs scènes ne sont plus dans mon esprit, peut-être même qu’elles n’y étaient pas même au début. Il fallait que je vois le braqueur et que je me vois face à lui. Puis, sur le tapis de la caisse, il fouillait dans le sac à dos qu’avait laissé la cliente. Et il est sorti en courant. J’aurai voulu revoir le film. Et le revoir encore… je ne sais plus quelle a été la suite des opérations ni les échanges. À un moment, j’étais dehors, accroupie contre le mur et il y avait un ou deux policiers. Puis ils attendaient la présence du commissaire je crois. Des questions nous ont été encore posées. Les pompiers sont arrivés pour emmener la cliente qui était très choquée. Ma collègue, qui était aussi ma responsable, était très gentille avec moi, elle me faisait asseoir, me tenait par le bras. La suite, dans le magasin et en présence des policiers, est effacée dans mon esprit (ou enfouie), excepté que nous avons eu, ma collègue et moi, une convocation pour le lendemain au commissariat. Il était aux environs des 23h00 lors nous sommes reparties, ma collègue et moi, vers la station de métro, même ligne mais sens différent. Je ne me souviens plus du tout dans quel état me trouvais-je durant le trajet mais lorsque je suis sortie à l’air libre, j’ai appelé mon voisin pour lui dire que le magasin avait été braqué et que j’ai cru qu’on allait mourir… puis lorsque je suis entrée dans mon studio, j’ai allumé mon ordinateur et j’ai cherché sur Google : braquage à xxxxx mardi 02 avril 2019. Comme s’il était possible que ce soit inscrit sur le net…

6. Là sans être là

Interrogatoire

Un dessin pour le braquage subi.
Braquage

Sur la télésurveillance, nous avons vu les policiers devant la porte du magasin. Ma collègue m’a demandé de monter leur ouvrir la porte. Ce que j’ai fait.
Ils ont commencé à nous interroger. Je ne me souviens pas très bien du déroulement mais nous attendions aussi le responsable de la sécurité du magasin et en sa présence, nous allions regarder le ‘film’ enregistré du braquage. Je me souviens que, lorsque les policiers ont parlé de cela, je me suis empressée de leur dire que moi aussi, je voulais voir les images. C’est curieux mais j’ai la sensation que je le disais comme un enfant qui sait que les grands vont voir un film et qu’il a peur de ne pas pouvoir le regarder ( je retranscris la perception que je pense avoir eu de ce souvenir ). Cela devenait presque une idée fixe : je voulais voir ces images, je voulais voir le déroulé du début à la fin.
Pendant cette étape, nous étions tous dans le bureau, magasin fermé. Je me souviens que je ressentais mon regard fixe, qu’au fond de moi ce n’était pas possible ce que j’étais en train de vivre ( bien sûr, ce que Nous étions en train de vivre mais encore une fois, je ne parle que de mon point de vue ).
Ça me semblait irréel. Je le vivais parce que j’étais là mais je me sentais comme en dédoublement, comme si mon corps assistait à quelque chose mais que mon ‘intérieur’ était ailleurs.

5. Fermeture

La réserve

Un dessin pour le braquage subi.
Braquage

Lorsque le contenu de ma caisse et de celui de ma collègue furent dans le sac, il nous a dit : ‘Maintenant, vous descendez dans la réserve, vite’ ou quelque chose de très similaire. En boucle, dans ma tête, j’entendais : ‘Il va nous tuer’… je suis partie sur la gauche alors que la réserve est sur la droite… nous sommes descendus les uns après les autres. Il me semble bien que c’est ma collègue qui était en dernière position car je suis allée vers elle en lui demandant si elle avait fermé la porte et elle m’a répondu par l’affirmative. Puis elle nous a fait entrer dans le bureau un peu plus loin et a fermé la porte et elle a ensuite appelé la police. Le magasin était ouvert et il fallait fermer la porte d’entrée. Elle m’a demandé de monter. J’ai braqué les yeux sur la vidéo surveillance pour voir s’il était là. On ne le voyait plus sur les diverses vues mais j’étais en panique bien évidemment. Je tremblais en ouvrant les portes… en montant l’escalier, j’ai vu quelqu’un, j’ai sursauté mais c’était un client, ou une cliente, alors je lui ai lancé très vite que j’allais fermer le magasin car on venait d’être braqués et la personne est sortie en courant. J’ai bloqué la porte et je suis vite redescendue.

4. Je me souviens

Scènes

Un dessin pour le braquage subi.
Braquage

Il y a eu plusieurs scènes pendant ce braquage qui a été très rapide, 5-7 minutes, je ne sais plus mais c’est de cet ordre-là. Et durant ce laps de temps, nous avons vécu différentes périodes.
Je ne parlerai que de ce que j’ai vécu car je ne peux me mettre à la place de ma collègue, de la cliente présente depuis le début et du client qui est entré après le braqueur. Chacun a ses émotions, ses réactions, ses traumas, etc.
Je me souviens qu’il était nerveux et nous pressait de donner l’argent au plus vite. Il était parfois devant nous, arme pointée sur nous, parfois à côté de moi et je me souviens de son souffle, de sa respiration…
Chose totalement absurde mais dont j’ai pris conscience une fois sortie du contexte : je prenais méthodiquement les billets et les pièces de ma caisse que je transvasais dans le sac posé à côté de moi, au lieu de balancer le caisson comme l’a fait ma collègue ensuite. J’attrapais, disons, chaque série, un centime puis deux centimes puis cinq centimes, etc. Et les billets de cinq euros puis dix euros, etc.
À un moment, j’ai fait tomber des pièces de un centime, juste deux ou trois et machinalement, bêtement, je me suis baissée pour les ramasser et là, je l’ai entendu crier : ‘toi, qu’est-ce que tu fais ? Relève-toi ou je te bute !’ ou une phrase du même genre mais il me semble vraiment qu’il a dit ‘je te bute’ en tout cas mon cerveau a enregistré ces mots. Et il pointait l’arme dans ma direction.
Je me souviens m’être relevée très vite en disant : ‘non monsieur, j’ai fait tomber des pièces’ ou ‘rien monsieur, je ramassais les pièces’…
Je me souviens avoir souvent dit le mot ‘monsieur’ pendant le braquage.

3. Il va nous tuer

La voix

Un dessin pour le braquage subi.
Braquage

Comment expliquer ça ? Il y avait des voix dans ma tête : l’une qui me faisait comprendre que ce ne pouvait être qu’une blague, une mauvaise blague. Un canular.
L’autre voix n’arrêtait pas de dire : il va nous tuer. Comme une évidence. Aucun doute pour moi. J’étais calme et je me disais : il va nous tuer.
Pendant que j’écris, j’essaie de retranscrire ce qui s’est passé en moi et je dois bien l’avouer, je suis au bord des larmes. Même après neuf mois…
Et pourtant, il y avait ce calme. Un dédoublement de termes : le calme malgré la mort qui allait arriver. Oui, cela me semble une ‘bonne formule’.
Là, commençait une sorte de boucle : braquage, il va nous tuer, c’est une blague…