Par la fenêtre entrouverte

Il y a eu de grands coups de vent. Beaucoup de vent. Lorsque je suis revenue dans la pièce, j'ai senti l'air plus frais, plus aérien, l'oxygène semblait plus dense. J'ai pris le livre sur la table et je me suis avancée vers mon fauteuil. Au moment où j'allais m'asseoir, j'ai vu une petite masse blanche contre le mur. Par la fenêtre entrouverte, un nuage était entré. Je me suis penchée et nous nous sommes retrouvés nez à nez.
Il dansait, il sautillait en s'avançant et il m'a encerclé, j'ai atterri dans son milieu. Je sautillais à présent avec lui, nous nous balancions en cadence. Nous glissions doucement vers la fenêtre entrouverte. Je n'avais pas le contrôle du mouvement. Par un petit saut, nous étions sur le point de franchir la rambarde. Je me suis alors mise à crier : Non mais que faites-vous monsieur le nuage ? Je ne veux pas partir dans le ciel, je ne sais pas voler, je ne suis pas un oiseau ! Je vais m'écraser, je vais mourir ! Laissez-moi, s'il vous plaît, laissez-moi ! 
Photo du ciel que j'ai prise au jardin des Tuileries.
J'essayai de me débattre, je tirais vers l'intérieur tandis qu'il poussait vers l'extérieur. Alors, je l'ai mordu. Puis je l'ai griffé. Je me tordais dans tous les sens et j'ai enfin réussi à enlever un pied de son emprise, que j'ai plaqué fortement sur le parquet et j'essayais maintenant d'extirper de la masse l'autre pied. Dans la panique, ma force était décuplée. J'ai ensuite pu extraire mon bras gauche et le droit a suivi quelques secondes plus tard. Seulement, ma tête et mon corps étaient encore englués dans le nuage. Alors, j'ai inspiré à fond et j'ai empoigné le mur le plus proche, je l'ai agrippé et je me suis cramponnée à son flanc, en tirant. En tirant tellement fort que ma tête s'est décapsulée et mon corps a suivi. J'ai glissé par terre. Sous la pression, le nuage a été projeté hors la rambarde, il s'éloignait et prenait de la hauteur, doucement puis de plus en plus vite…
Après cet évènement, je ne vois plus du tout le ciel avec le même regard. J'admire toujours autant sa beauté, sa grâce, sa magie. Seulement, lorsque je repense à la balançoire de ma jeunesse, d'où j'espérais pouvoir toucher les nuages, je déclare solennellement, à voix haute : Non, je ne veux plus toucher les nuages, non, je ne veux plus aller dans le ciel. Le plancher des vaches est mon coussin d'air !

Sous le vernis

La Mercedes Limousine roulait à vive allure.
Arthur avait donné ses indications à son chauffeur : un jet privé l'attendait et il devait absolument partir avec lui, sous peine de ralentir toute l'opération de vente de grande envergure. Aussi, Yvan conduisait avec prudence mais rapidité.

Arthur, en homme d'affaires de hautes affaires d'extrême importance, jonglait entre ses portables dernière génération, sortis la semaine dernière et sa tablette reçue hier de New York.
Les trente-cinq degrés qui sévissaient ce mois-ci n'avait pas d'impact sur lui, la climatisation diffusant un air ambiant confortable.
Pour garder confidentiels ces échanges, il avait remonté la vitre qui le séparait de son chauffeur. Mini-bar et écran participaient à un trajet des plus agréables.
Après plusieurs minutes, Arthur s'octroya une pause en dégustant un peu de son alcool préféré tout en regardant un polar. Au bout d'un moment, il sentit ses paupières lourdes et s'endormit.

Dans un sursaut, Arthur ouvre les yeux. Il desserre sa cravate. Il a chaud. La voiture est arrêtée. Il saisit la télécommande de la vitre de séparation mais le bouton est sans action. Il prend l'interphone pour appeler son chauffeur mais personne ne décroche.
Arthur s'affole. Il se retrouve face à une situation qu'il ne peut maîtriser et qu'il ne comprend pas. Les portes arrières sont fermées. Il utilise à nouveau l'interphone mais il sonne sans entendre de voix. Il cherche ses deux portables mais impossible de les trouver. De même pour sa tablette. Arthur sent les gouttes couler de son front sur ses joues. Son cœur cogne fort. Que se passe-t-il ? Ont-ils été attaqués ? Ont-ils eu un accident ? Yvan est parti en l'abandonnant ainsi ? Et s'il était fâché après lui ? Que lui a-t-il dit ?
Tout en continuant à chercher ses portables et sa tablette, il essaie encore de joindre son chauffeur via l'interphone. Il transpire et enlève sa veste. Puis il lance sa cravate.
Il se souvient avoir dit à Yvan, il y a quelques jours, qu'il allait le virer. Mais ce n'était pas la première fois qu'il le menaçait et puis, Yvan connaît Arthur, il s'emporte facilement mais au fond, il doit savoir qu'il a besoin de lui.
La panique lui donne presque envie de pleurer. Et pourquoi il n'arrive pas à mettre la main sur ses téléphones ? Et une tablette, ça ne disparaît pas comme ça ! Et quelle chaleur !
Esquisse que j'ai faite au stylo et colorisée via Photoshop.
Sous le vernis
Fêlure

Tout à coup, il entend un cliquetis. Puis un deuxième cliquetis qui se rapproche. Quelqu'un essaie d'ouvrir les portières. Alors, il se met à crier. Fort. Très fort. Il entend une voix qui demande quelque chose mais il ne comprend pas alors il crie qu'il est coincé et qu'il faut lui ouvrir vite. Puis plus rien. Il appelle, il demande si on l'entend. Il s'arrête de respirer pendant quelques secondes. Et s'il meurt ?
Des bruits de tôle qu'on cogne le font tressaillir. On vient le sauver ? Le tuer ?
Ça cogne, encore et encore.
Puis, la porte s'ouvre. Yvan regarde Arthur. Arthur est terrorisé et son cerveau se bloque face à la situation. Il ne peut rien articuler.

Yvan, très calmement, se baisse vers lui et lui dit : 'Monsieur, que ceci vous serve de leçon. Je ne veux plus jamais voir ce que j'ai vu hier soir, sinon, je vous tuerai.'
Arthur, qui essaie de reprendre figure humaine, semble un peu étonné.
' Hier soir, monsieur a fait un tour dans le parc. Très tard, n'est-ce pas ?'
Arthur se recule, les yeux fixes.
'Eh oui, j'étais là. Derrière un arbre. Je soulageais une envie pressante si vous voyez ce que je veux dire. Oh, bien innocente en ce qui me concerne.' Yvan avait traîné sur les derniers mots.
Comme Arthur se tait et est blafard, Yvan s'approche un peu plus de son visage et en le fixant, il reprend : 'Votre femme n'aimerait pas du tout savoir que sa fille de cinq ans n'était pas en train de dormir.'

La méthode – 2

Dessin les roses de la vie
Roses de la vie

C’est à vous, mademoiselle. Si vous voulez bien me suivre.
Un personnage sorti de nulle part, vêtu d’incroyables tissus colorés, de la tête aux pieds, venait d’ouvrir la porte. Il lui souriait en s’inclinant presque. Puis, il se mit à marcher. Enfin, disons plutôt qu’il sautillait. Il aurait même pu se retourner et lui faire des grimaces avec un rire satanique qu’elle n’aurait pas été étonnée le moins du monde. Elle avait envie de rire.
Ils traversèrent un couloir sombre. Puis un deuxième couloir tout blanc, presque aveuglant : « C’est encore loin » lança-t-elle, quelque peu intriguée.
« Nous arrivons. Nous tenons à accueillir en grande pompe nos futurs collaborateurs.  » Il parlait d’une voix qui se voulait énigmatique, en traînant sur les dernières syllabes. Le dernier couloir était agencé comme un jardin : une pelouse au sol. Du synthétique sûrement. Des nuages blancs avec un ciel bleu au plafond. Peints. Des cages d’oiseaux suspendues sur les murs. Peints aussi. Et des oiseaux à l’intérieur. Des faux, bien évidemment mais très réussis.
Elle entendait les sons d’une musique psychédélique. Son compagnon de marche ouvrit une porte et s’effaça pour la laisser entrer. Ce qu’elle fit non sans avoir jeté au préalable un coup d’œil en avançant la tête sans le corps.
« Entrez, mademoiselle, nous vous attendions. »

La méthode – 1

Illustration les roses de la vie
Illustration pour nouvelle

Dans la salle d’attente. Elle ne pense à rien. À rien de précis. Une pendule est au-dessus de la cheminée. Posée sur la tablette en marbre. Il est treize heures vingt, encore dix minutes avant son tour. Elle est seule. Une grande pièce rien que pour elle. Juste une table gigogne avec quelques revues, la cheminée et des sièges pour les ‘avancées’, le nom donné à ceux qui osent franchir la porte. Car ici, on entend des conversations, disons, atypiques. Ça jase un peu sur ce lieu. Certains disent que c’est du n’importe quoi, d’autres, qu’il faut bien trouver de l’argent auprès de ceux qui gobent tout, ou qu’il y a de tout pour faire un monde, que c’est intéressant d’être curieux, de chercher. Comme toujours, il y avait ceux qui étaient pour et ceux qui étaient contre. Elle, elle était là parce qu’elle avait entendu une émission radiophonique sur la méthode.
La méthode. La fameuse méthode qui permettrait de gagner beaucoup d’argent, facilement et rapidement. Pas d’investissement ou très peu. Pas de démarchage, pas d’équipe à constituer, comme dans les mlm (le marketing relationnel). ‘ attentif, motivé, positif ‘, disaient-ils à la radio.
Elle voulait en savoir plus. Elle avait alors envoyé un mail pour avoir un rendez-vous.
Et le rendez-vous, c’est maintenant.

Ange

Portrait au stylo
Portrait au stylo

Ange, depuis ses quinze ans, sait qu’il est né pour apporter de la lumière dans le cœur des gens qui sont mis sur sa route. Cela commence donc, tout logiquement, par les membres de sa famille. Dès qu’un ennui, une contrariété apparaît, un chagrin ou une colère qui assombrissent l’âme, il trouve immédiatement une solution. La solution. Il ne sait pas comment ni pourquoi mais c’est ainsi, il est fait comme ça. Il est fait pour ça.
Par exemple, un jour que sa mère était fâchée contre lui à cause de ses vêtements tout sales car il avait joué dans les flaques de boue pour faire rire son petit frère, il s’était concentré si fort que, quelques secondes plus tard, sa mère l’avait pris dans ses bras et lui avait fait un gros bisou sur chaque joue.
Puis une autre fois, c’est son père qui se disputait avec les voisins pour une histoire de haie mal taillée qui empiétait sur leur garage. Ces derniers menaçaient de faire intervenir les forces de l’ordre. Ange avait alors envoyé des pensées d’amour vers eux. En à peine une minute, ils invitaient ses parents à venir prendre l’apéritif le soir même.
Ou encore, la maladie de sa tante, la sœur de son père. Elle était diagnostiquée en sursis pour quelques mois. Chaque soir, l’adolescent se connectait sur les cellules saines de son corps pour combattre les cellules malades et les éradiquer. Au bout d’un mois, les analyses montraient une guérison quasi complète.
Quelques années plus tard, lorsqu’il y avait des tensions au travail, entre collègues ou avec le patron, Ange s’isolait pour faire des incantations et, quelques minutes après, tout était réglé.
Les personnes n’avaient pas conscience de son don. On ne savait pas quel pouvoir était entre ses mains.
Il avait aussi testé avec sa femme, et cela fonctionnait merveilleusement. Leur couple était harmonieux, équilibré.
Jusqu’à ce jour funeste. Ce jour où il a rencontré, dans un bal, un jeune sapeur pompier. Il venait faire la quête pour sa paroisse. Dès qu’il s’est approché de leur table, Ange a senti l’aura démoniaque de l’autre. Puis il a surpris sa femme qui le regardait avec admiration, avec convoitise même. Ange a alors senti la rage l’envahir. Une rage indescriptible. Et c’était tellement nouveau et inconnu que c’en était d’autant plus ravageur.
Il a touché le bras du pompier et une décharge électrique l’a agressé. Il s’est tourné vers sa femme qui souriait à l’autre en lui faisant ses yeux de biche. Et le pompier semblait charmé et ne la lâchait pas du regard.
Ange s’est levé et a sauté sur le pompier, en serrant son cou de toutes ses forces. La rapidité de l’événement semblait tétaniser les spectateurs. Seule, sa femme s’est suspendue à lui en le suppliant d’arrêter. Mais Ange serrait, serrait toujours plus fort, toujours plus vite. Et le sapeur s’est écroulé à ses pieds, comme un pantin désarticulé.
Ange fixait ses mains, l’air hébété. Sa femme hurlait en courant vers d’autres.
On a plaqué Ange, à plat ventre, par terre. Il ne pouvait pas bouger. De toute façon, il ne pouvait plus faire aucun geste. Il répétait en boucle, dans un murmure : ‘ je faisais le bien, je faisais le bien’. Puis, dans un soubresaut, il a fini de respirer.

Repenti

Correspondance épistolaire
Portrait stylo photoshopé

Ma chère fille,
Cela fait très longtemps qu’on ne s’est pas vus et je tiens à te demander pardon pour mon attitude. J’ai mal agi en te mettant à la porte de la maison, ce jour où tu m’as présenté ton amoureux, enfin je veux dire ton amoureuse (tu vois, j’ai encore du mal à m’y faire, deux ans après). J’ai eu le temps de la réflexion et je m’en veux terriblement. Bien sûr, ta mère n’a pas arrêté de me parler de mon erreur mais c’est moi seul qui ai pris la décision de cette lettre. Aussi, je te demande, de tout mon cœur, de me pardonner et je souhaite faire aussi des excuses à Natacha. Venez toutes les deux quand vous voulez.
Ton papa qui t’aime.

Papa,
Merci pour tes excuses bien tardives et que jamais, je n’aurai pensé recevoir un jour. Natacha et moi, c’est fini mais tu n’y es pour rien. Maman ne le sait pas encore d’ailleurs. Elle s’est mariée. Avec un homme. Moi aussi, j’aimerais pouvoir me marier un jour. Quand j’aurai trouvé le grand amour. Le vrai. Mais ce sera avec une femme, je préfère te prévenir tout de suite. Pour l’instant, je vis seule, ceci dit, je ne désespère pas.
Pendant deux ans, tu m’as ignoré, maman me disait dans l’état de colère où tu étais. Tu m’as jugé, moi ta fille, comme si j’avais commis un crime. J’ai des voisins, un couple de jeunes, qui viennent de se marier et la mariée avait ses parents à la noce : sa mère, sa belle-mère (pas la femme de son père, non, la femme de sa mère, elle a quitté son père pour partir avec une femme. Tu vois, ça peut arriver aussi chez les autres).
Je viendrais le week-end prochain si tu veux.
Je vous embrasse, maman et toi.
Ps : je te pardonne papa. Et puis, on doit reformer une famille. On le doit à maman. Tant qu’elle est encore avec nous. On lui a fait tant de mal et c’est peut-être à cause de nous… elle ne me l’a pas dit mais j’ai trouvé des ordonnances.

La boulette

Un bébé
Portrait bébé

La maîtresse, qui avait oublié ce matin, était en train d’avaler sa pilule, avec un peu d’eau, en retrait de la classe, près du lavabo où les bambins venaient laver leurs petites mains quand elles étaient tachées de peinture.
Sophie et Justin, qui l’avaient suivie du regard, comme à leur habitude, dès qu’elle s’éloignait d’eux, étaient sur ses talons :
‘Qu’est-ce que tu fais maîtresse ? C’est quoi que tu manges ?’
Mademoiselle se retourne, et comme prise la main dans le sac, ou dans le pot de confiture, lance : ‘C’était un médicament.’
‘Qu’est-ce t’as ? T’es malade ?’
‘Non, Justin, je vais bien.’
‘Maîtresse, tu sais que c’est pas bien de mentir’, lui dit Sophie, ‘Alors, si t’es malade, faut nous le dire.’
Mademoiselle les regarde, attendrie, et sans trop réfléchir, sort : ‘C’est un cachet anti-enfant.’
Les deux petits se regardent, la regardent et, avant que mademoiselle puisse revenir sur ses mots, Justin s’étonne : ‘Ça veut dire que tu nous aimes plus ?’
Et Sophie d’ajouter : ‘Qu’est ce qu’on a fait de mal ?’
Mademoiselle se sent rougir et ne sait pas trop comment sortir de ce faux pas : ‘Mais non, pas du tout, voyons, c’était pour rigoler, ça n’a rien à voir avec vous mes chéris.’
Là-dessus, Faustine, qui avait de grandes oreilles, leur dit : ‘Ma maman aussi, elle a un médicament anti-enfant mais c’est pour pas avoir de bébé dans le ventre. Vous êtes bêtes hein.’
‘Ah bon ?’, dit Justin. ‘Alors, si tu prends un médicament anti-enfant, le bébé pourra pas venir dans ton ventre ?’
‘Mais pas moi idiot, je suis trop petite’, lui dit Faustine. ‘C’est pour les mamans. Mais elle en prend pas de médicament anti-enfant ta maman ?’
‘Bah, je sais pas, répond Justin, je vais lui demander ce soir.’
‘Non, s’écrie un peu trop vivement mademoiselle, je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée, peut-être que ta maman ne sera pas contente après.’
La conversation intriguait les autres qui s’étaient approchés et demandaient à tour de rôle de quoi on parlait. Au bout de quelques secondes, tous les gosses braillaient à tue-tête : ‘Le médicament anti-enfant, le médicament anti-enfant !’
Et en chœur : ‘Je vais demander à maman si elle prend un médicament anti-enfant.’
Mademoiselle essayait de les faire taire, elle était très embarrassée. C’était sa première rentrée. Son premier travail. Elle était jeune. D’ailleurs, c’était une première aussi pour la prise de pilule, depuis quelques mois.
La directrice, qui passait dans le couloir, entendit les cris des enfants et vint dans la classe : ‘Que se passe-t-il ici ?’
‘Tout va bien, madame, ils sont justes un peu énervés.’
L’arrivée de la directrice avait fait silence mais Justin, encore étonné de la découverte, lui dit : ‘Madame, la maîtresse a pris un médicament anti-enfant’ et tous les enfants se mettent à rire et à reprendre sa phrase.
Mademoiselle, de plus en plus gênée, est scrutée par la directrice qui lui glisse à l’oreille: ‘Dans mon bureau pendant la récréation.’
Verdict : la pauvre mademoiselle est mise à pied.
Lorsqu’elle entre chez elle, son chéri l’attend avec un gros bouquet de roses rouges. Et un dîner préparé par le restaurant du coin : ‘Ma chérie, j’ai bien réfléchi à ce que tu m’as demandé plusieurs fois. Et je suis d’accord. Je veux un enfant de toi’.
Mademoiselle fond en larmes et court à la salle de bains.

Une autre fois

Portrait binocles
Portrait aux stylos et photoshopé

Elle remontait le petit chemin en zigzag. Elle humait le parfum des roses, du lilas, de l’herbe fraîchement tondue. Le jour déclinait mais elle distinguait encore tout ce qui faisait la beauté des lieux. Elle n’était pas revenue depuis si longtemps qu’elle pensait qu’elle allait se mettre à pleurer d’une minute à l’autre. Pour l’instant, tout allait bien, elle gérait encore l’émotion, son souffle était régulier. Toute sa famille l’attendait pour dîner. Elle était un peu en retard mais tout le monde savait qu’elle reprenait contact avec son village. Cinq ans, cinq longues années ! c’était encore si frais à sa mémoire. Elle revoyait tout comme avant, elle avait tellement de souvenirs. Les habitants l’avaient accueilli avec chaleur, bienveillance. Les nouveaux avaient été mis au courant par les anciens. Elle était choyée comme une championne qui revient au pays avec la médaille. ils étaient si prévenants, si attentifs, si généreux. on lui offrait des petits cadeaux et on lui faisait des compliments. Toutes ces personnes étaient si touchantes, si aimantes, si reconnaissantes. ils restaient discrets, personne ne l’avait questionné mais elle sentait bien qu’ils en mouraient d’envie. elle était persuadée que ses parents étaient bombardés de questions mais eux non plus ne savaient pas. Personne ne savait. Elle n’avait pas donné signe de vie jusqu’à hier. Elle avait d’ailleurs eu peur que sa mère ne fasse une crise cardiaque en la voyant devant la grille du jardin. Elle était revenue, cette fois-ci, pour toujours…
Mon dieu que cette histoire est barbante ! bon, je m’en vais moi, j’en ai assez entendu.
Tu ne veux pas rester jusqu’à la fin de la lecture ? après, il y a un cocktail de prévu pour les artistes.
Les artistes, tu parles d’artistes, trois pignoufs qui viennent lire leur truc !
Ne sois pas méchante comme ça. Je sais bien que tu es déçue de ne pas avoir été sélectionnée mais ce sera pour une autre fois.

J’ai tout vu

Yeux et orbites
Dessin aux crayons stylos et photoshopé

Il est tard mais je n’arrive pas à dormir. Comment pourrais-je ? Il risque de passer sa vie en prison alors qu’il n’a rien fait. J’ai tout vu et je n’ai rien dit. Je suis complice de son malheur. Il me suffisait de parler pour le sauver. Si seulement il n’était pas tombé amoureux de cette fille… moi, je l’aime depuis toujours. Alors je suis partie pendant que la police lui passait les menottes. Elle, elle pleurait et s’accrochait à lui. J’ai des remords. Comment vais-je vivre avec ça sur la conscience ? Je dois dire la vérité. Il n’est pas trop tard. Et si je lui sauve la vie, peut-être m’aimera-t-il ?

Il tremble. Il est livide. Elle est au premier rang. Je suis au dernier. Ils ont fermé les portes de la salle d’audience. Le jury est entré puis le président et ses assesseurs. La séance est ouverte. L’avocat de chaque partie a plaidé, les témoins se sont succédé. Lorsque le président a demandé si quelqu’un avait quelque chose à déclarer, je me suis levée : monsieur le président, j’étais présente, je peux vous donner tous les détails, je peux vous décrire l’assassin. Ce n’est pas lui, je le jure.
Il ne savait pas. J’étais cachée par l’obscurité. Je les avais suivis et j’avais vu la bagarre entre les deux hommes. L’un d’eux avait sorti un couteau et poignardé l’autre. Il avait ensuite mis le couteau entre les mains de Yann et s’était enfui. Elle, elle s’était écartée de Yann en hurlant et il avait lâché le couteau. Quelqu’un était arrivé, des lumières apparaissaient aux fenêtres. La police n’avait trouvé que les empreintes de Yann. Elle, elle s’était évanouie. J’avais assisté à la scène, derrière le mur. Je me souviens de tout. Je raconte tout. La séance est ajournée le temps de vérifier mon témoignage. Mais Yann a été quand même condamné car l’assassin, que la police a retrouvé, avait un alibi.
Je n’ai pas pu sauver Yann. Je viens le voir tous les jours en prison.


En passant dans la rue, je les vois attablés dans un café, l’un en face de l’autre, ils se tiennent la main, les yeux dans les yeux et se caressent le visage. Puis il se lève, l’embrasse et sort du café. J’arrive droit sur elle :
Qu’est-ce que tu fais avec ce type ?
Tu parles de qui ? tu vois bien que je suis seule.
Ne me prends pas pour une idiote, je viens de voir sortir le meurtrier et je vous ai vu vous embrasser et vous faire des mamours.
Ah oui et après, qu’est-ce que ça peut bien te faire ?
Tu plaisantes j’espère ? tu sors avec le meurtrier pendant que Yann est en prison ?
Et après ? tu as essayé de le faire plonger mais les flics n’ont rien contre lui, des témoins ont vu Yann avec le couteau et il n’y a que ses empreintes dessus.
Nadine, tu sors avec le meurtrier depuis combien de temps, dis-le moi.
Mais de quoi je me mêle ?
Tu te rends compte que Yann est en prison pour un meurtre qu’il n’a pas commis, tu n’as pas le droit de faire ça, tu sors avec l’assassin et tu laisses Yann qui est ton mec être accusé à sa place !
Oh, fous-moi la paix !
Je m’approche tout près de son visage : tu es un monstre, comment tu peux laisser Yann moisir en prison et coucher avec le meurtrier ? comment…
Je t’ai dit de me foutre la paix ! lâche-moi avec ce con de Yann !
Elle se lève et me glisse à l’oreille : si tu ne veux pas qu’il t’arrive des ennuis, fous-nous la paix avec Marc. Et elle sort du café.
J’ai pris alors rendez-vous avec l’avocat de Yann : vous avez des preuves de ce que vous dites ?
Oui, j’ai enregistré la conversation.
Nous ne pouvons pas nous servir d’un enregistrement malheureusement comme preuve mais nous pouvons essayer de lui faire peur.
il a convoqué Nadine dans son bureau. J’étais là aussi. En entendant notre conversation, elle a blêmi. J’ai ajouté :
Nadine, Yann s’est pendu hier dans sa cellule. tu risques d’être accusée de complicité.
Alors elle a craqué : on voulait seulement que Yann m’épouse pour avoir son argent. C’est un accident. Marc nous suivait et y a ce type qui cherchait la bagarre. C’est seulement un accident.
Après une nouvelle enquête, la police a découvert que la victime était un voyou de quartier. La fausse pendaison de Yann n’avait été qu’un prétexte pour faire parler Nadine.
Lorsque Charlotte sera plus grande, je lui raconterai comment maman a sauvé la vie de son père.

Le justaucorps

L'enfant qui danse et rigole
Marionnette dessinée

Sur le fleuve, une péniche éclairée par des guirlandes. Des voix, au son de la musique, s’entrechoquent. On chante, on danse, on rit. Je suis sur le pont et je les regarde passer. Je lève mon verre invisible pour trinquer à leur santé. Je suis longtemps des yeux le bateau festif, tout illuminé dans le jour éteint, jusqu’à ce qu’il ne soit plus qu’un point à l’horizon. Quelques badauds traînent, la douceur du crépuscule les retient sur l’asphalte. J’enlève mon sweat, mon jean et mes baskets puis je les range dans mon sac à dos. Je me retrouve en justaucorps pailleté. Un couple à ma hauteur me dévisage avec étonnement. Je leur souris et ils s’arrêtent, curieux. Je saute lestement sur la rampe du pont. La femme pousse un cri et l’homme avance les bras pour m’agripper mais je me décale prestement pour lui échapper. Des personnes regardent de loin et d’autres viennent vers nous. Je fais des bonds gracieux sur la rampe, une musique rythmée s’élève de mon sac. Je virevolte, je me déhanche sensuellement. Des applaudissements, et quelques frayeurs, m’accompagnent à chaque entrechat. L’attroupement grandit au fur et à mesure. Il est bientôt impossible de circuler de ce côté du trottoir. Des flash crépitent, des ‘oh’, des ‘ah’ fusent. Mon corps seul est présent. Je flotte mentalement dans une autre dimension. Des sirènes, qui se rapprochent, hurlent. Deux voitures de police stoppent. Leurs occupants courent vers la rampe et m’ordonnent de descendre. Ils crient aux spectateurs de s’éloigner. Ils en bousculent même certains. Mais personne ne part. l’un des policiers se baisse pour éteindre la musique. Au même moment, je suis débranchée. Je me fige sur la rampe, les deux pieds joints, les bras en croix. Il n’y a plus aucun bruit. Les yeux des badauds et des policiers me fixent. Je regarde le ciel en tendant les bras au dessus de ma tête, je plie les jambes en ramenant mes coudes à hauteur de mes genoux. Avant que le policier le plus proche frôle ma jambe, je quitte la rampe en tournoyant et je disparais sous l’eau.
Ça n’a duré que quelques secondes. La foule s’est ruée contre la rambarde, les policiers ont appelé les pompiers et le Samu. Certains regardent si un corps remonte à la surface de l’eau. Deux minutes passent.
La voilà !
Un tonnerre d’applaudissements me salue. Il en profite pour ramasser mon sac et détale à grandes enjambées. L’un des policiers donne l’assaut mais il s’évapore. Je nage sous l’eau et j’accoste plus loin. Mon acolyte arrive avec mon sac. Il a enregistré toute la scène avec son portable.
Le lendemain, le buzz fut mémorable.