Ange

Portrait au stylo
Portrait au stylo

Ange, depuis ses quinze ans, sait qu’il est né pour apporter de la lumière dans le cœur des gens qui sont mis sur sa route. Cela commence donc, tout logiquement, par les membres de sa famille. Dès qu’un ennui, une contrariété apparaît, un chagrin ou une colère qui assombrissent l’âme, il trouve immédiatement une solution. La solution. Il ne sait pas comment ni pourquoi mais c’est ainsi, il est fait comme ça. Il est fait pour ça.
Par exemple, un jour que sa mère était fâchée contre lui à cause de ses vêtements tout sales car il avait joué dans les flaques de boue pour faire rire son petit frère, il s’était concentré si fort que, quelques secondes plus tard, sa mère l’avait pris dans ses bras et lui avait fait un gros bisou sur chaque joue.
Puis une autre fois, c’est son père qui se disputait avec les voisins pour une histoire de haie mal taillée qui empiétait sur leur garage. Ces derniers menaçaient de faire intervenir les forces de l’ordre. Ange avait alors envoyé des pensées d’amour vers eux. En à peine une minute, ils invitaient ses parents à venir prendre l’apéritif le soir même.
Ou encore, la maladie de sa tante, la sœur de son père. Elle était diagnostiquée en sursis pour quelques mois. Chaque soir, l’adolescent se connectait sur les cellules saines de son corps pour combattre les cellules malades et les éradiquer. Au bout d’un mois, les analyses montraient une guérison quasi complète.
Quelques années plus tard, lorsqu’il y avait des tensions au travail, entre collègues ou avec le patron, Ange s’isolait pour faire des incantations et, quelques minutes après, tout était réglé.
Les personnes n’avaient pas conscience de son don. On ne savait pas quel pouvoir était entre ses mains.
Il avait aussi testé avec sa femme, et cela fonctionnait merveilleusement. Leur couple était harmonieux, équilibré.
Jusqu’à ce jour funeste. Ce jour où il a rencontré, dans un bal, un jeune sapeur pompier. Il venait faire la quête pour sa paroisse. Dès qu’il s’est approché de leur table, Ange a senti l’aura démoniaque de l’autre. Puis il a surpris sa femme qui le regardait avec admiration, avec convoitise même. Ange a alors senti la rage l’envahir. Une rage indescriptible. Et c’était tellement nouveau et inconnu que c’en était d’autant plus ravageur.
Il a touché le bras du pompier et une décharge électrique l’a agressé. Il s’est tourné vers sa femme qui souriait à l’autre en lui faisant ses yeux de biche. Et le pompier semblait charmé et ne la lâchait pas du regard.
Ange s’est levé et a sauté sur le pompier, en serrant son cou de toutes ses forces. La rapidité de l’événement semblait tétaniser les spectateurs. Seule, sa femme s’est suspendue à lui en le suppliant d’arrêter. Mais Ange serrait, serrait toujours plus fort, toujours plus vite. Et le sapeur s’est écroulé à ses pieds, comme un pantin désarticulé.
Ange fixait ses mains, l’air hébété. Sa femme hurlait en courant vers d’autres.
On a plaqué Ange, à plat ventre, par terre. Il ne pouvait pas bouger. De toute façon, il ne pouvait plus faire aucun geste. Il répétait en boucle, dans un murmure : ‘ je faisais le bien, je faisais le bien’. Puis, dans un soubresaut, il a fini de respirer.

J’ai tout vu

Yeux et orbites
Dessin aux crayons stylos et photoshopé

Il est tard mais je n’arrive pas à dormir. Comment pourrais-je ? Il risque de passer sa vie en prison alors qu’il n’a rien fait. J’ai tout vu et je n’ai rien dit. Je suis complice de son malheur. Il me suffisait de parler pour le sauver. Si seulement il n’était pas tombé amoureux de cette fille… moi, je l’aime depuis toujours. Alors je suis partie pendant que la police lui passait les menottes. Elle, elle pleurait et s’accrochait à lui. J’ai des remords. Comment vais-je vivre avec ça sur la conscience ? Je dois dire la vérité. Il n’est pas trop tard. Et si je lui sauve la vie, peut-être m’aimera-t-il ?

Il tremble. Il est livide. Elle est au premier rang. Je suis au dernier. Ils ont fermé les portes de la salle d’audience. Le jury est entré puis le président et ses assesseurs. La séance est ouverte. L’avocat de chaque partie a plaidé, les témoins se sont succédé. Lorsque le président a demandé si quelqu’un avait quelque chose à déclarer, je me suis levée : monsieur le président, j’étais présente, je peux vous donner tous les détails, je peux vous décrire l’assassin. Ce n’est pas lui, je le jure.
Il ne savait pas. J’étais cachée par l’obscurité. Je les avais suivis et j’avais vu la bagarre entre les deux hommes. L’un d’eux avait sorti un couteau et poignardé l’autre. Il avait ensuite mis le couteau entre les mains de Yann et s’était enfui. Elle, elle s’était écartée de Yann en hurlant et il avait lâché le couteau. Quelqu’un était arrivé, des lumières apparaissaient aux fenêtres. La police n’avait trouvé que les empreintes de Yann. Elle, elle s’était évanouie. J’avais assisté à la scène, derrière le mur. Je me souviens de tout. Je raconte tout. La séance est ajournée le temps de vérifier mon témoignage. Mais Yann a été quand même condamné car l’assassin, que la police a retrouvé, avait un alibi.
Je n’ai pas pu sauver Yann. Je viens le voir tous les jours en prison.


En passant dans la rue, je les vois attablés dans un café, l’un en face de l’autre, ils se tiennent la main, les yeux dans les yeux et se caressent le visage. Puis il se lève, l’embrasse et sort du café. J’arrive droit sur elle :
Qu’est-ce que tu fais avec ce type ?
Tu parles de qui ? tu vois bien que je suis seule.
Ne me prends pas pour une idiote, je viens de voir sortir le meurtrier et je vous ai vu vous embrasser et vous faire des mamours.
Ah oui et après, qu’est-ce que ça peut bien te faire ?
Tu plaisantes j’espère ? tu sors avec le meurtrier pendant que Yann est en prison ?
Et après ? tu as essayé de le faire plonger mais les flics n’ont rien contre lui, des témoins ont vu Yann avec le couteau et il n’y a que ses empreintes dessus.
Nadine, tu sors avec le meurtrier depuis combien de temps, dis-le moi.
Mais de quoi je me mêle ?
Tu te rends compte que Yann est en prison pour un meurtre qu’il n’a pas commis, tu n’as pas le droit de faire ça, tu sors avec l’assassin et tu laisses Yann qui est ton mec être accusé à sa place !
Oh, fous-moi la paix !
Je m’approche tout près de son visage : tu es un monstre, comment tu peux laisser Yann moisir en prison et coucher avec le meurtrier ? comment…
Je t’ai dit de me foutre la paix ! lâche-moi avec ce con de Yann !
Elle se lève et me glisse à l’oreille : si tu ne veux pas qu’il t’arrive des ennuis, fous-nous la paix avec Marc. Et elle sort du café.
J’ai pris alors rendez-vous avec l’avocat de Yann : vous avez des preuves de ce que vous dites ?
Oui, j’ai enregistré la conversation.
Nous ne pouvons pas nous servir d’un enregistrement malheureusement comme preuve mais nous pouvons essayer de lui faire peur.
il a convoqué Nadine dans son bureau. J’étais là aussi. En entendant notre conversation, elle a blêmi. J’ai ajouté :
Nadine, Yann s’est pendu hier dans sa cellule. tu risques d’être accusée de complicité.
Alors elle a craqué : on voulait seulement que Yann m’épouse pour avoir son argent. C’est un accident. Marc nous suivait et y a ce type qui cherchait la bagarre. C’est seulement un accident.
Après une nouvelle enquête, la police a découvert que la victime était un voyou de quartier. La fausse pendaison de Yann n’avait été qu’un prétexte pour faire parler Nadine.
Lorsque Charlotte sera plus grande, je lui raconterai comment maman a sauvé la vie de son père.

Du café et des gâteaux

Les tartelettes dessin photoshopé
Dessin fait sur Photoshop

Je te quitte.
Il n’avait dit que ces mots et avait raccroché. Six mois de ma vie venait d’être jetés comme ça, sans explication. J’avais essayé de l’appeler plusieurs fois mais il ne répondait jamais. J’avais laissé plusieurs messages vocaux. Sa seule réponse était le silence. J’étais allée chez lui. Personne. Durant une semaine, j’ai harcelé son répondeur et sa porte d’entrée. J’ai questionné ses amis. Ils ne savaient rien. Je ne connaissais pas sa famille qui vivait à l’étranger. Parti. Volatilisé. Les semaines et les mois passèrent, sans aucune nouvelle de lui.

La société pour laquelle je travaille venait d’être rachetée. J’ai été mutée dans une autre ville.
Nous attendons un important client pour la réunion trimestrielle. Tout doit être parfait, nous n’avons pas droit à l’erreur. Après plusieurs heures de négociation, nous avons remporté le contrat.
Cet après-midi là, un couple vient visiter une maison. Nous avons rendez-vous à l’adresse de la demeure. Je l’ai tout de suite reconnu. Les mois ont passé mais tout est frais dans ma mémoire. Ils ne sont pas intéressés. Nous nous séparons sur le parking. Je suis restée plusieurs minutes, assise dans ma voiture, à l’arrêt. J’ai ouvert leur dossier pour noter l’adresse.
J’ai pris deux semaines de congés. Je me suis familiarisée avec leur rythme de vie. Sa femme ne travaillait pas, il partait tôt et rentrait tard. Ils ne sortaient pas le week-end. J’ai prolongé mon congé pour avoir un planning plus long de leurs habitudes. Un mois plus tard, j’ai provoqué un contact. Un matin, je me gare dans la même rue que lui et je marche à quelques mètres derrière, sur le même trottoir. Il rentre dans une boutique, j’attends en me dissimulant derrière la vitrine. Lorsqu’il sort, je me poste devant lui. Après un regard, il avance sur le trottoir sans se retourner. Je l’appelle mais il ne répond pas. Je cours après lui et je lui attrape le bras : tu pourrais me dire bonjour !
Mais je ne vous connais pas madame.
Tu ne me connais pas, ah oui tu ne me connais pas !
Je crie, le visage tout près du sien.
Vous êtes la femme de l’agence immobilière non ? qu’est-ce qui vous prend de vous énerver et de me tutoyer ?
Alors, je lui crache toute ma rancune et mon chagrin. Il soutient qu’il ne me connaît pas et que je le confonds avec un autre. j’insiste, je parle des moments partagés, des souvenirs. Il se met en colère et me demande de le laisser tranquille mais je continue de crier, de pleurer.
Ça suffit maintenant. Foutez-moi la paix. Je ne vous connais pas. Après avoir détaché chaque syllabe des derniers mots, il me lance un regard foudroyant et s’éloigne.
Abasourdie, dévastée, je reste plantée en le regardant partir.

J’ai passé des jours à y réfléchir. Je voulais qu’il souffre. Lui aussi.
Je sonne à la porte d’entrée. Elle me reconnaît : c’est très gentil à vous de vous déplacer, un coup de fil aurait suffi. Vous avez une autre maison à nous proposer ?
Autour d’une tasse de café, je la mets au courant.
Voulez-vous des gâteaux avec votre café ? je vais en chercher.
Je reste étonnée de sa réaction.
Quelques secondes plus tard, je sens un objet froid entre mes omoplates et une voix glaciale me dit :
Je sais très bien qui vous êtes, une de ces pétasses dont mon mari est friand. Il n’a fait que ça pendant toutes ces années de mariage, coucher avec des petites connes. Ça m’a coûté cher de le faire suivre !
Je suis pétrifiée. Elle me tire par les cheveux, m’entraîne dans une pièce et me pousse sur le lit, l’arme braquée en direction de ma tête. Sa main fouille dans un tiroir sans me lâcher du regard. Puis elle me bâillonne, me ligote et m’enferme dans un placard. Je l’entends s’affairer, ses pas se rapprochent et s’éloignent, des objets sont tirés. Elle a mis très fort la musique.
Je ne sais pas quelle heure il est lorsque la porte du placard s’ouvre. Je cligne des yeux à cause de la lumière. Ils me regardent tous les deux. Il s’approche de moi et enlève le scotch collé sur ma bouche.
Fais attention Dimitri, elle a un révolver, elle sait tout !
Il y a un malentendu, je ne suis pas Dimitri. Pourquoi êtes-vous venue la menacer avec une arme ?
Je bredouille que je n’ai rien fait.
Je vais appeler la police madame.
Mais je n’ai rien fait ! c’est elle qui m’a menacé avec ce révolver, c’est elle ! vous êtes fous tous les deux, laissez-moi partir !
Il me fait sortir et m’emmène dans le salon. Il prend un album photos, l’ouvre à une page et me le tend. En tremblant, je regarde les photos : Dimitri est mon frère jumeau, c’est un dragueur, il ne peut pas s’en empêcher, il les lui faut toutes. Son mariage n’a rien changé. En plus, il a épousé la femme de ma vie.
En disant ces mots, il s’approche de la femme et lui prend la main : je ne sais pas ce qu’il vous a promis et je m’en fiche mais s’il y a une victime ici, c’est elle. Je m’effondre en boule sur le sol : il m’a appelé pour me dire qu’il me quittait… je ne savais pas qu’il avait un frère jumeau.
Vous n’êtes pas la première ni la dernière à qui il fait ça.
Il est où maintenant ?
Je n’en sais rien, sûrement dans un autre pays.
Elle, elle reste muette et elle me fixe.
Mais alors vous êtes toujours mariée avec lui ?
On s’en fiche, c’est ma femme, mariée ou pas.
Mais c’est votre frère !
C’était !
il la regarde.
J’ai retrouvé sa trace en France. Je savais qu’il voyait encore une femme. Encore une. Et que ça serait toujours comme ça. Ça devait finir.
Il la regarde.
Je lui ai dit de vous appeler. Il a pleuré. Il vous aimait vous savez.
Elle rit. Je pleure. Il la regarde.
Et je l’ai tué avec ce révolver, cette ordure !
En un bond, il attrape le révolver et lui tire une balle en pleine tête et une autre en plein cœur. il retourne l’arme contre lui, le canon dans la bouche.
Sans le talent de mon avocat, j’aurais pris perpète.

Pour l’amour du tutu

Le tutu
Le tutu

Le rideau s’ouvre. Les projecteurs s’allument. Avec grâce et sensualité, les danseurs se mettent en mouvement, doucement puis de plus en plus vite, en suivant le rythme effréné de la musique. Les costumes sont superbes, les corps aussi. Les spectateurs sont conquis, ils retiennent leur souffle. Leurs applaudissements déchirent les tympans. L’euphorie de la scène contamine la salle qui la galvanise en retour. Les chorégraphies s’enchaînent. Après deux heures de féérie, les danseurs disparaissent tour à tour vers les coulisses et le rideau se baisse sur la scène, laissant une foule émerveillée.
C’est à ce moment-là que j’ai su que je voulais continuer la danse classique. C’est aussi à ce moment-là que je l’ai vue tomber en s’accrochant au rideau.

Les pompiers sont arrivés très vite. Nous sommes restées, maman et moi, dans la loge de ma sœur. Elle était pâle, le souffle court, les yeux hagards. Quelques instants après, elle mourait.
Une étoile venait de s’éteindre.
J’avais douze ans. J’ai dix-huit ans à présent.
J’ai su faire mes preuves et mon niveau est devenu très bon. J’ai la conviction qu’elle a été assassinée. Des traces de poison ont été retrouvées dans son sang. L’enquête menée a conclu à un suicide car ma sœur souffrait d’une malformation cardiaque, ce qui la forçait à arrêter la danse. Elle avait fait deux tentatives pour mettre fin à ses jours mais c’était une battante, une gagnante. Elle m’avait juré que jamais plus elle n’aurait de geste définitif. Son mental d’acier reprenait peu à peu le dessus.
Elle m’avait aussi parlé de la jalousie d’une des filles de la troupe. Jalousie pour son talent, sa beauté et son fiancé.
J’ai trouvé cette fille – la future étoile d’après la presse – parmi celles qui ont dansées avec ma sœur. Je n’ai épargné ni mes efforts ni ma patience. Pas plus que mon temps. J’en ai fait ma meilleure amie. Je fais toujours en sorte d’avoir des scènes avec elle, je cale mes horaires quotidiens sur les siens. Je mets à nu ma vie privée pour gagner sa confiance.
Elle vante les qualités de ma sœur avec exaltation, avec passion. Plusieurs fois, j’ai senti ma détermination vaciller.
J’ai passé des années à réfléchir, à méditer, à mettre sur pied la punition, le châtiment à lui  infliger. Ma vengeance prend corps.

Le jour de la première, à l’Opéra de Paris, nous sommes plus professionnels que jamais. Tout a été minutieusement préparé. Chacun apparaît sous son meilleur jour.
Il reste une heure avant le lever de rideau. Nous sommes tous prêts à faire vibrer le public.
Tous, excepté elle.
Sa loge est souillée de vernis rouge, partout, sur le miroir, ses habits de scène, les murs, la chaise, la coiffeuse. Les produits de maquillage gisent sur la table, les tubes éventrés.
Jusqu’à présent, aucun de nous n’est allé à sa recherche, trop préoccupés à tenir notre rôle au mieux.
Je suis arrivée le matin avec elle et à chaque café bu elle a ingéré un peu plus de cette saleté de drogue qui rend amorphe. Si bien qu’elle s’est avachie lourdement dans un fauteuil de sa loge.
J’ai ensuite fermé à clef la porte, ayant préalablement enfilé des gants.
Son absence commence à se faire remarquer. Certains me questionnent, mais où est-elle ? J’ai pris les devants en signalant au producteur qu’elle est partie précipitamment, affolée, après un appel reçu sur son téléphone portable et qu’elle m’a lancé au milieu de sa course qu’elle reviendra plus tard. Il est furieux.
La musique retentit, le rideau s’ouvre, nous sommes en place.
Pendant l’entracte, dans la confusion générale, je me faufile dans les couloirs jusqu’à sa loge que je ferme à clef. Je glisse un petit bloc dans son sac à main, toujours avec les gants puis je déchire mon costume, je m’arrache quelques cheveux que je mets sous ses ongles, je prends ses doigts que j’appuie fortement sur mes bras et mon cou, me griffant avec. J’ouvre la porte et je pose la clef sur la table, je m’approche d’elle et je la gifle pour qu’elle reprenne connaissance. La représentation va reprendre dans quelques minutes. Elle commence à remuer, à grommeler. Elle ouvre les yeux, je mets un gant dans chacun de mes chaussons et je cours en pleurs dans le couloir, je crie, je hurle, j’appelle à l’aide…
Ma version est plausible, ils m’ont cru.
Elle m’a attaqué, elle m’a dit qu’elle allait aussi me tuer, comme elle avait tué ma sœur. Elle criait qu’elle n’avait rien fait mais elle avait mon sang sur les mains. Tout était contre elle : les meubles saccagés, la loge tachée de vernis, les marques sur mes bras, mon cou, mes cheveux sous ses ongles, mon costume arraché.
La représentation a été annulée, la salle évacuée, la police prévenue.
Un médecin l’a examiné et a conclu à une crise de délirium. Elle ne se souvenait de rien.
Ils ont découvert un bloc dans son sac à main dont plusieurs pages noircies avec des insultes, des récriminations sur ma sœur et, à la dernière page : aujourd’hui, c’est le grand jour. Je vais enfin me débarrasser aussi d’elle. J’en ai marre de ces Sateilbor, plus de danseuses pour me faire de l’ombre… Sylvie va rejoindre sa sœur à la morgue. Je veux moi aussi avoir mon heure de gloire. Mon petit journal, tu vas assister au crime, en direct, bien au chaud.
Après analyse de l’écriture, c’était bien la sienne – j’avais eu six années pour m’exercer – .
Je suis allée la voir à l’hôpital psychiatrique. Avec tout ce qu’elle ingurgite, elle est au plus mal et je ne suis pas sûre qu’elle m’ait reconnue. Moi, la future étoile.
Non, je ne suis vraiment pas sûre qu’elle ait reconnue l’assassin de sa rivale.